Papa
Il y a un temps pour tout.
Un temps pour être jeune et insouciant. S'amuser et faire la fête. Voler dans les airs, faire des folies et ne pas les regretter.
Un temps pour construire son amour, son couple, découvrir et s'adapter au monde des grands.
Un temps pour monter une marche. Une marche très haute. Celle qu'on décide de monter sans trop se poser de question. Celle qu'on monte comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Comme tous les gens autour, qui ont l'air de le penser et de le vivre si facilement. Alors on la monte aussi. La marche de la parentalité. Et on s’aperçoit qu'elle est VRAIMENT très haute.
Et puis il y a aussi un temps pour passer à autre chose. Parce qu'on n'a pas le choix et que les enfants on ne les a pas fait pour soi, mais pour eux. Et que les voir partir, c'est la logique. Une pilule pas facile à avaler. Mais logique.
Un temps pour accueillir les enfants de ses enfants. Trouver sa place de grand-parents. Une place qui vient parfois au fur et à mesure des naissances. Avec à chaque fois une sentiment de peur, de fierté et une larme à l’œil qui en dit long.
La suite, je ne la connais pas encore. Enfin, si. Bien sûr que je la connais. Comme tout le monde. Mais je ne veux pas l'anticiper. Par pure angoisse. Je préfère profiter du temps que nous vivons en ce moment. Carpe Diem.
(...)
De mon enfance, je garde des souvenirs très diffus. Peu sont précis, datés et significatifs.
Je sais que j'ai été heureuse, insouciante au moins jusqu'à l'âge de 10 ans.
J'ai été bercée par les "soirées diapos". Des soirées où mon père nous commentait, à mon frère et moi, les diapositives de la Guyane. De notre petite enfance. Des soirées que nous réclamions, tellement ces souvenirs nous rattachaient à nos racines inconscientes. Des images de bonheur.
Et puis, il y a eu aussi les "devoirs" ! Avec un père à cheval sur l'apprentissage des tables de multiplications. Je me rappelle encore avec angoisse la récitation de la table de 7... Papa, je ne connais toujours pas mes tables.
Et puis aussi, ses stratagèmes pour me faire arrêter de ronger les ongles. Sparadrap, mercurochrome, gants, punitions, raisonnement... mon père a tout essayé. Sans succès. Aujourd’hui nous sommes 3 à les ronger. Mes 2moizelles et moi ! Oups.
Il y a eu de magnifiques ailes de papillon. Des ailes que mon père a fabriqué seul, pour que j'ai le plus beau des costumes au carnaval de l'école primaire. Habillée de la tête au pied en bleu, j'ai arboré fièrement une paire d'ailes en carton, peint comme l'arc en ciel, avec sur chacune d'elle un rond en aluminium brillant. J'étais belle. Trente ans après, la photo de moi en papillon s'affiche fièrement dans le cadre "ta photo la plus ridicule" dans le livre "Aujourd'hui on enterre ta vie de jeune fille", offert par mes amies une semaine avant mon mariage, il y a trois mois. Comme quoi. Les souvenirs les plus heureux ont la vie dure.
Mon père m'a réconforté, aussi. Notamment lorsque j'ai découvert avec effroi que des enfants mourraient de faim sous mes yeux en Éthiopie. En 1986. J'avais 11 ans. J'ai mis des semaines à m'en remettre et à réussir à vivre "banalement" avec ces images dans la tête. En fait, mon père m'a très souvent réconforté.
Parfois même le fait-il encore. Me réconforter, me cajoler. Aujourd'hui, avant-hier, demain. Mon père est toujours là. Encore et toujours.
(...)